Communiqué de presse du 1er décembre 2020

En France environ 5% seulement des longs métrages produits sont initiés par des scénaristes seuls… Comment l’expliquer ? Y a-t-il si peu de créativité et d’activité chez les scénaristes français ? Ces derniers semblent de fait soumis aux seuls désirs des producteurs et réalisateurs et sont transformés non en créateurs mais en exécutants.

En ce sens, le retour d’expérience partagé par la scénariste Sabrina B. Karine, il y a quelques jours, est édifiant. Résumé rapide des faits : Sabrina est scénariste d’un projet dont la réalisation sera assurée par Hubert Gilet, qui n’est pas impliqué dans l’écriture du projet. Après dépôt à l’aide à la réécriture du CNC par Sabrina donc, c’est Hubert qui est prévenu de leur sélection en plénière et qui est convoqué, seul, à l’oral face au jury.

Lors de ladite audition, Hubert se rend donc seul face à la commission pour défendre le projet, ce qui est le fruit d’une décision prise d’un commun accord avec Sabrina, sa scénariste, afin de ne pas desservir leur projet face à la volonté exprimée par la commission. On lui pose alors des questions sur la réalisation auxquelles il répond. On lui fait alors remarquer que le scénario est différent de son court métrage, comme un reproche, comme si on sentait trop qu’il n’a pas écrit le projet de long-métrage qu’il défend. Et puis vient la question fatidique : “Mais elle est où votre scénariste ?” Hubert répond qu’ils n’ont pas voulu la recevoir. Première tension due à un manque de communication entre la commission et son organisation. Et un reproche final, l’incompréhension de la part des membres de la commission : “Mais pourquoi vous ne l’avez pas écrit tout seul ?”.

« Le Mépris » est le titre d’un film de Jean-Luc Godard, figure de proue de la Nouvelle Vague. Ne peut-on pas y voir une ironie grinçante quand ce même mépris est clairement affiché à l’encontre des scénaristes qui ne réalisent pas, au sein même d’une commission d’aide à la réécriture ? N’est-ce pas justement là l’expression d’une adhésion excessive et délétère à la fameuse « politique des auteurs » ? Pour autant doit-elle empêcher toute collaboration entre scénariste et réalisateur si ce dernier ne désire pas s‘impliquer dans l’écriture du projet ? Ou bien est-ce une énième manifestation de l’exercice d’une véritable discrimination envers les scénaristes de la part du système…

Il est bon de rappeler que scénariste et réalisateur sont des métiers complémentaires mais très différents. On peut bien entendu exercer les deux avec talent, mais cela n’est pas donné à tout le monde. On peut aussi vouloir être scénariste, sans velléité de réaliser et vice-versa. Il se peut aussi que pour une raison personnelle un réalisateur ne veuille pas s’impliquer dans l’écriture du prochain projet qu’il veut réaliser. Si cela est un choix artistique consenti entre les deux parties, pourquoi devraient-ils être pénalisés pour cela ?

Pour aller plus loin, penchons-nous sur trois faits objectifs, tout aussi problématiques

1 / Sur la composition des deux collèges de la commission d’aide à la réécriture concernée, sur les 14 membres cumulés qui y siègent, 7 pour chaque collège respectivement, on y retrouve une seule scénariste.

Pourquoi ce corps de métier n’est-il pas plus représenté au sein d’une aide spécifique à l’écriture ? Nous sommes les premiers à défendre la diversité des profils représentés au sein des commissions d’attribution des aides. Mais dans le cas d’aides spécifiques, pourquoi se priver de la présence significative, si ce n’est majoritaire de membres du profil professionnel correspondant à l’identité fondamentale du dispositif d’aide ?

2 / Les lauréats de cette session sont tous scénaristes ET réalisateurs de leurs projets, quel qu’en soit le collège.

Le constat que nous en tirons est amer : les scénaristes, s’ils ne sont pas aussi réalisateurs, ne semblent donc pas exister en France. Se pose alors une question majeure : ce mépris des scénaristes est-il systémique ? Il est en tout cas symptomatique du manque de reconnaissance du travail d’écriture et, plus globalement, du statut du scénariste dans la chaîne de création d’une œuvre. Nombreux sont pourtant les exemples de chefs-d’œuvre du cinéma mondial où les réalisateurs n’étaient pas auteurs du scénario de l’œuvre.

Ce problème est connu depuis longtemps mais lorsqu’il est évoqué nous faisons face à une dualité entre le discours et les actes : d’une part on encourage à la collaboration entre scénaristes et réalisateurs, d’autre part on pénalise les scénaristes qui ne réalisent pas leur œuvre ou les réalisateurs qui n’auraient pas écrit ou participé à l’écriture de leur film. Dans certaines régions, il est même impossible de déposer un dossier de demande d’aide à l’écriture ou au développement sans réalisateur attaché au projet, ce qui paraît absurde. 

En ces temps de crise, les problèmes s’accumulent pour les artistes-auteurs : URSSAF, statut social et juridique… Il est temps de redonner toute sa légitimité à notre métier. Il est urgent que le statut et la reconnaissance des scénaristes deviennent des réalités inaliénables. Les mots sont importants mais ne suffisent plus, nous attendons maintenant des actes, du concret. 

3 / Le seul projet aidé au sein du 2ème collège apparaît sur le site du CNC comme étant celui d’un membre siégeant au sein de la commission (la date de la session n’étant pas précisée).

Comprenons-nous bien, il ne s’agit en aucun cas de fustiger cette personne, ni de chercher un quelconque bouc-émissaire, cela n’aurait aucun sens d’autant plus qu’il s’agit d’un cas loin d’être isolé. Il s’agit donc de questionner un système global de soutien et son fonctionnement qui laisse parfois planer le doute sur l’intégrité des commissions. En effet, les témoignages de cette nature, se rapportant aux commissions d’attribution d’aides, se multiplient. Ils ne proviennent d’ailleurs pas que de scénaristes, mais aussi de réalisateurs et de producteurs, et concernent aussi bien les institutions nationales, régionales que les concours de scénario.

En 2018, ce problème avait déjà été générateur d’une polémique de conflits d’intérêts concernant le Youtubeur Cyprien, alors accusé d’avoir profité de son siège au sein de la commission du Fonds d’aide aux créateurs vidéo sur Internet du CNC pour bénéficier d’une aide de 50 000 euros. Pour limiter les risques d’arrangement, l’article 122-8 du règlement du CNC est pourtant clair : il interdit aux membres de la commission d’y siéger durant une séance qui les concerne, ce dont s’était effectivement abstenu Cyprien lors de ladite séance.

Les commissions sont composées de titulaires et de suppléants, nommés pour un ou deux ans selon le cas. A chaque nouvelle commission, les titulaires qui ne sont pas disponibles ou qui ont proposé un projet le signalent et sont alors remplacés par des suppléants. On pourrait donc croire qu’avec ce dispositif tout conflit d’intérêt est alors rendu impossible. Ce serait nier un fait essentiel car bien que ne siégeant pas, le membre concerné est tout de même auditionné par ses collègues habituels et est donc bien connu de tous…  Ce qui par ailleurs peut s’avérer être à double-tranchant : soit il s’en voit favorisé, soit la commission s’avère plus dure avec lui. 

Bien que le vote final d’attribution de l’aide se fasse à bulletin individuel secret et anonyme,  à l’unanimité ou à la majorité des membres, peut-on malgré tout affirmer avec certitude l’absence de tout conflit d’intérêt ? Comment dans ces conditions garantir une décision non orientée de la commission ? D’autant plus qu’on ne peut empêcher les personnes concernées de passer quelques appels téléphoniques en dehors des séances. 

Cette situation récurrente est donc bien connue mais pourtant, loin de s’améliorer, elle stagne voire ne cesse de s’aggraver. Alors comment limiter, à défaut d’éviter, ce potentiel conflit d’intérêt ?

La proposition la plus évidente serait celle d’une « année blanche » pour les membres siégeant en commission, leur interdisant de déposer un projet à cette commission durant toute la durée de leur exercice au sein de cette dernière. Mais, si elle a déjà été évoquée régulièrement, elle est intenable car présente de nombreux problèmes à commencer par le recrutement de membres de commissions. La composition de commission est déjà un exercice difficile si l’on veut y faire figurer des profils pertinents, et trop peu de scénaristes et réalisateurs y siègent déjà de manière générale.

Autre exemple, en commission régionale comme par exemple en région Sud, les membres sont suppléants pour une période de deux ans, suivie de deux années de titularisation comme membre siégeant au sein de la commission. Impossible dans ce cadre de demander à ces professionnels un tel effort. 

Alors quels sont les moyens restants pour lutter contre les leviers de réseau et conflits d’intérêts potentiels ? La solution la plus évidente est la plus simple est de se reposer sur l’intégrité des membres composant ces commissions d’aide. Mais cela est insuffisant et incertain. 

Une première piste solide serait donc de commencer par assurer une plus grande mixité et diversité des profils au sein des commissions que ce soit en termes de profession, de formation, d’origine géographique de sexe ou d’âge. De nombreux facteurs peuvent être pris en compte et une vigilance particulière devrait être appliquée au stade de composition des commissions. La pluralité des regards et des expertises se verrait ainsi considérablement renforcée. Néanmoins, ce chantier de réflexion reste complexe à plus d’un titre et d’autres solutions existent probablement. 

Une fois de plus, nous appelons de tous nos vœux à une concertation interprofessionnelle globale incluant les institutions nationales et régionales afin d’élargir ce dialogue et trouver des solutions communes plus justes et équitables pour l’avenir. En commençant par revaloriser le travail d’écriture et la reconnaissance des scénaristes, afin de faire gonfler ces tristement fameux 5%…

La Fédération des Associations des Métiers du Scénario

Associations membres

L’Accroche Scénaristes, l’ADEFI, l’ASSOC, Backstory L’Association, La Belle Equipe,

Lecteurs Anonymes, la NAAIS, SAFIRE Grand Est, ScriptoKarib et Séquences 7

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